L’Histoire détaillée de Cibombo

I. Genèse

1.0 Présence kasaïenne au Katanga

Au temps de la colonie (avant 1960), l’Union Minière a eu besoin d’une main d’œuvre suffisante et disponible pour travailler dans les riches mines du Katanga. Elle fut importée principalement du Kasaï et du Rwanda. Ces ouvriers bénéficièrent de faveurs sociales réservées à leurs enfants : école, centre de santé, etc.

Au fil des temps, leur progéniture finit par se doter d’atouts intellectuels et économiques remarquables, les plaçant en position privilégiée dans la société. Entre-temps, des alliances solides se sont établies entre les populations par le mariage ou d’une autre manière.  Nous sommes à la quatrième génération des Kasaïens immigrés.

1.1 Conflit entre les deux peuples

1.1.1. Tensions latentes

L’histoire tumultueuse de la province du Katanga (sécession en 1960, refus des autochtones de se faire embaucher à la Gécamines, les deux guerres de rébellion de 1978 et 1980) fit de ses ressortissants des rejetés du régime Mobutu. Par contre, de nombreux Kasaïens occupèrent des postes à responsabilités, ce qui fut à la base de grandes frustrations sous la république de Mobutu.

1.1.2. Occasion

Le 15 Août 1992, Mr Etienne Tshisekedi (opposant à Mobutu et ressortissant du Kasaï) est élu Premier Ministre à la Conférence Nationale Congolaise.   Mr Nguz, un autre opposant de souche katangaise, digère mal ces élections et se désolidarise des opposants à Mobutu pour mettre sur pied un parti radical de défense des causes katangaises contre le Kasaïen. Il s’allie à Mr Kyungu – alors gouverneur de la Province du Katanga – pour combattre Mr Tshisekedi par sa base : déstabiliser le Congo en aiguisant la haine du Katangais contre le Kasaïen.  Acteur principal : le Gouverneur de la Province, Mr Kyungu.

1.1.3. Pratique d’expulsion des Kasaïens

Des jeunes gens (12-30 ans) Katangais sont enrôlés dans une milice, dénommée JUFERI.  Ils sont armés de machettes, lances, bâtons, cordelettes, et parfois même de carabines pour attaquer les maisons des Kasaïens à Kolwezi, à Likasi et dans les alentours.  Cette manœuvre dure de 1992 à 1994.  Les média officiels locaux y sont mêlés en reprenant au fil des heures des discours de haine.  Un lexique incitateur et d’un humour sarcastique y est bien clair :

bilulu : « insectes dérangeants », pour désigner les Kasaïens

mubatelemushe : « faites-les glisser », pour demander de forcer le départ même s’il faut glisser les Kasaïens et leurs biens sur les rails.

mubapakale mafuta : « oignez-les d’huiles », si l’expédition est difficile, une petite onction sur leur corps les feraient glisser aisément.

 1.1.4. Résultat

La confrontation Katangais – Kasaïens provoque des pertes de vies, de biens et de maisons de part et d’autre. Les villes de Kolwezi et de Likasi ont  perdu de leur éclat jusqu’à ce jour.

Dans la débandade, de nombreux Kasaïens courent se réfugier dans les gares et les écoles. Celles-ci sont transformées en véritables camps de concentrations où hommes, femmes et enfants apeurés sont entassés dans une forte promiscuité.  Pendant vingt mois, ces gens vont se débrouiller pour vivre sans eau, sans nourriture, sans assistance sanitaire…

Comme ces hostilités fortuitement exploitées servaient  la cause du Régime Mobutu en place, la presse nationale n’en fera aucun écho. Au contraire, elle a tourné le regard de l’opinion internationale sur le génocide à l’Est du Congo (Rwanda : 1992-94) au moment même où des populations locales subissaient le même sort !

1.1.5. Déplacement

Forcées au retour vers le Kasaï, les familles ainsi groupées dans les lieux publics n’ont plus eu pour choix que soit :

  • d’attendre un hypothétique train vers le Kasaï ;
  • d’opter pour un parcours routier en voitures, camions, vélos ou au pire à pied.

II. Du Katanga au Kasaï

La distance de Kolwezi à  Mbuji-Mayi est de 1700 kms.  Quatre possibilités s’offraient pour rentrer et parcourir la distance vers le Kasaï : l’avion, le train, la route en véhicules ou  la route à pied. Mais puisque ces familles étaient expropriées de tout bien, les moyens les moins onéreux étaient la route ou le train.

De multiples difficultés parsemèrent leurs  parcours : épidémies, incursions des milices, faim, accidents. C’est seulement au bout de longs mois que certaines familles, diminuées et affaiblies, vont arriver dans certains centres urbains du Kasaï : Mwene-Ditu – Mbuji-Mayi – Kabinda – Kananga.

III. Le site des Kasaïens à Mbuji-Mayi : CIBOMBO

Près de 1700  familles en provenance du Katanga vont débarquer dans la ville de Mbuji-Mayi.  Aucune structure d’accueil n’étant en place, l’autorité provinciale – complice aussi du régime Mobutu de l’époque – crée un nouveau camp hors de la ville.  C’est l’actuel site dénommé Cibombo Cimuangi à Mbuji-Mayi (Cimuangi signifiant : Refoulés en Luba).

3.1. CIBOMBO

CIBOMBO était, à l’origine, une simple plaine à 10 Km à l’Ouest de la ville de Mbujimayi.  Elle est située en bordure Nord de la route qui relie les chefs lieux des deux Kasaï (Mbuji-Mayi et Kananga).  Son emplacement, en-dehors de la ville, et juste après le cimetière de Mbuji-Mayi, a sans doute fait de cette savane le lieu indiqué pour tenir à l’écart les refoulés venus par milliers du Katanga.

3.2. Habitat

Arrivées en surnombre (60.000) dans la savane de Cibombo (6,8 km²), les familles des refoulés se sont bâtis des abris de fortune en paille, en torchis et en chaume. 

3.3. Démographie

Très vite, les conditions de vie inhumaine, la faim, le manque d’eau, les épidémies ont réduit la population du site de Cibombo à ce qu’elle est aujourd’hui soit 14.500 habitants.  La majeure partie est de la tribu Luba, d’autres sont à l’origine plutôt de Kabinda, de Kananga et du Katanga (pour les familles à mariages mixtes).  La langue couramment utilisée est le Swahili (habituelle au Katanga).  Le Tshiluba passe pour une deuxième langue usuelle.  Le taux de mortalité étant très élevé à cause de l’insalubrité des lieux, la structure jeunes-adultes a beaucoup basculé : 37% d’adultes contre 63 % de jeunes.

Groupe d’âgePoids des jeunes dans la population
< 6 ans22.3-22.50 %
6 à 12 ans22.2-22.43 %
13- 19 ans17.3-17.42 %

3.4. Niveau de vie

Le niveau de vie est médiocre.  Réduite brutalement au chômage sans indemnisation, la population des refoulés Kasaïens reste pauvre et sans revenus. Adultes et enfants doivent tous se débrouiller pour survivre.  Chaque jour, ils font les 20 Km aller-retour vers Mbuji-Mayï  pour de petits travaux de fortune : jardinage, nettoyage, baby-sitting, etc., au petit bonheur la chance.  Il faut reconnaître aussi que le Kasaï reste la province au coût de vie le plus élevé du Congo.

3.5. Organisation du pouvoir

Le site est administrativement rattaché au district de Cilengi. Le chef est nommé et établi à Mbuji-Mayi par les autorités de Kinshasa.  Le pouvoir coutumier est d’une telle importance qu’il entre souvent en palabre avec le pouvoir civil.  C’est ainsi qu’on ne peut traiter de la question de propriété foncière sans négocier avec les chefs de terres. Une difficulté de plus pour les refoulés qui ont besoin de lopins à exploiter à des fins agricoles.

3.6. Scolarité et profession

Les refoulés accordent une grande importance à l’éducation et à l’instruction de leurs enfants. Malheureusement ils ne peuvent, en pareille situation, assurer les frais scolaires dans les écoles de Mbuji-Mayi ou des villages environnants. 

IV. PROJET  I.PA.ME.C

4.1. I.PA.ME.C : Un projet pour une prise en charge responsable

Très vite, les déplacés ont commencé des tentatives de regroupement en mouvements associatifs et coopératifs.  Plusieurs furent sans suite… Un groupe de 7 familles va vouloir contourner les structures officielles et lourdes des ONG, avides de fonds, pour privilégier les initiatives prises par et avec des familles de refoulés du site.  Elles vont se regrouper dans un mouvement associatif dénommé I.PA.ME.C, Initiatives PAniers des MEnagères de Cibombo.  Nous sommes en 1996.

Ce projet vise à améliorer le niveau de vie par la combinaison de trois facteurs :

  • L’exploitation parcellaire (c-à-d exploiter le lopin de terre leur dévolu, appelé parcelle)
  • Les ressources humaines  
  • La volonté d’intégration pour une prise en charge durable.

4.2. Difficultés sur le terrain 

4.2.1. Le lotissement

Le site de Cibombo est actuellement habité par 1700 de ces familles déplacées, soit un total de ± 14.500 habitants dont 10.200 ont de 1 à 35 ans. 

Les services cadastraux ont reparti la superficie totale du site (6,8 Km2) en 1.100 parcelles. On voit tout de suite que la trop forte densité au Km2 est la première source de paupérisation de la population qui est appelée à maximiser l’exploitation de l’espace parcellaire tant pour se loger que pour les unités de production et de survie alimentaires.

4.2.2. Sol

Dans cette zone Nord-Ouest de Mbuji-Mayi, la savane faiblement arborée tient sur un sol sablo argileux à faible teneur d’argile.  Ces sols pauvres de compositions variées proviennent des roches granitoïdes.  Leur tendance acide et leur difficile rétention d’eau en compliquent l’exploitation agricole.

4.2.3. La nourriture

L’achat de légumes, viande et charbon se fait principalement à Mbuji-Mayi (10 Km).  Sans revenus appropriés, les refoulés vont en ville offrir des services en échange de rations et d’habits, tout ceci aux prix déjà peu abordables pour les populations autochtones de la ville même.

4.2.4. Eau

Les points d’eau ne sont pas du tout à proximité de Cibombo.  La rivière Nzaba, située à 3,5 Km, est l’unique ressource d’eau naturelle. Les refoulés vont s’y approvisionner avec des bidons et des jarres.  La saison des pluies (septembre à avril, 8 mois sur 12), malgré ses désastres écologiques (érosion), reste la bienvenue pour recueillir l’eau nécessaire au ménage.

4.2.5. Les écoles

Le peu de revenus rassemblés par les parents couvre l’unique repas du jour.  La scolarisation est, de ce fait, négligée parce que les enfants doivent aussi contribuer à la recherche de la nourriture journalière.  Malheureusement, cette situation explosive favorise beaucoup la délinquance juvénile dans le site et, à fortiori, dans la ville de Mbuji-Mayi où ces jeunes doivent opérer.

4.2.6. La fragilisation de la femme

La femme ayant toujours été responsabilisée dans la gestion du bol alimentaire familial, son rôle est désormais doublé du drame du refoulement : combattre la malnutrition en veillant à l’équilibre des repas et veiller à la gestion du budget familial dans une optique à long terme.  Les jeunes filles abandonnent vite l’ambition scolaire pour se livrer à la prostitution.

4.3. Avantages sur le terrain

4.3.1. La motivation

La population est très motivée pour s’intégrer et se stabiliser dans son nouveau milieu de vie.  On compte ainsi des efforts de regroupements socioprofessionnels pour lutter contre la famine.  Les frustrations vécues lors de l’expulsion du Katanga servent dès lors de points de propulsion pour créer un chez soi dans la terre natale.

4.3.2. Le dynamisme des mères

Toutes les forces vives de la famille sont ainsi mobilisées pour affronter la vie.  Les pères, réduits au statut de « sans emploi », s’associent au génie des mamans pour réussir à produire le bol du jour : les cultures maraîchères parcellaires sont encouragées. Chaque portion de la parcelle est exploitée pour les légumes de table et le petit élevage.  Papas et enfants sont mis à contribution soit pour l’entretien, soit pour la surveillance.

4.3.3. Contribution locale

La main-d’œuvre : Le Bureau Technique et Administratif d’IPAMEC a une équipe compétente pour promouvoir et suivre les initiatives de développement à l’échelle familiale.  La main-d’œuvre principale reste, bien entendu, les familles elles-mêmes (papas, mamans et enfants).

La famille reste le point de mire d’IPAMEC.

Le soutien de différentes autorités sur place : civiles, coutumières et religieuses.  La bonne foi des autorités civiles, coutumières et surtout religieuses peut être sollicitée. Malheureusement elles ne disposent pas de moyens évidents pour un drame humain si criant.

Le matériel de travail : Localement, les paysans jouissent des bienfaits de la nature : parcelles, terrains agricoles, climat et ressources humaines. 

V. STRATEGIE D’I.PA.ME.C.

Le projet cible la population à la base.  Le Bureau Technique et Administratif d’I.PA.ME.C, dont le siège social est à Cibombo avec une représentation à Kinshasa, veille néanmoins à l’efficacité des initiatives à entreprendre.   L’Abbé Stanis Kanda, le représentant et vice-président de l’ASBL en Belgique (voir contacts), reçoit et contrôle les rapports des travaux.

Le projet limite sa sensibilité à six réseaux principaux :

5.1. Le réseau ‘cultures’

IPAMEC encadre et encourage principalement les initiatives d’exploitation parcellaire et maraîchère.  Le projet veut aboutir à créer des structures d’exploitation viables.  Mais, étant donné le poids financier qu’entraîneraient les outils agraires modernes pour les familles, il est seulement question de procurer aux exploitants des outils agraires d’utilisation habituelle aux paysans.  Le projet sollicite à cet effet une aide financière équivalente à l’achat d’outils de travail aux prix locaux.  Voir Projet Jardin Potager

5.2. Le réseau ‘élevage’

Le bol alimentaire, pour être complet, doit aussi comprendre des aliments d’origine animale.  L’élevage parcellaire consiste à tenir une basse-cour à taille familiale dont les charges de conduite sont assumées par la famille elle-même.  Voir Projet Elevage

5.3. Le réseau ‘Eau’

Les familles doivent se débrouiller pour stocker l’eau qui doit servir à divers usages.  IPAMEC s’engage à aider à l’achat de récipients.  Depuis lors, des puits artésiens ont aussi été creusés le long de la rivière Nzaba distante de 3,5 kms de Cibombo.  Un autre projet est aussi né : recueillir dans une citerne souterraine de 80 m³ les eaux de pluies du centre de formation.  Ce projet est en passe d’être terminé en cet été 2012.  Depuis lors, deux citernes souples de 500 m³ ont été installées en 2017 et 2019 et recueillent l’eau de pluie d’une surface de 1200 m²; Voir Projet Citerne

5.4. Le réseau ‘Habitat’

Puisque bien des familles ont un lopin de terre où sont érigées des huttes en chaume, IPAMEC veut soutenir les initiatives d’amélioration d’une maison d’habitation d’au moins trois chambres.  Celles-ci sont réalisées en briques d’argile séchées au soleil, ont un seul rez-de-chaussée et sont couverte d’un toit en tôles ondulée.  Bien entendu, il n’y a ni eau, ni gaz, ni électricité. IPAMEC a fourni une presse à brique bien utile dans ce contexte. Voir Projet Habitat.

5.5. Le réseau ‘Parrainage Scolaire’

Les enfants des familles qui ont des difficultés ne savent pas poursuivre leurs études.  Ces familles peuvent être soutenues via IPAMEC par un parrainage à tempérament : Voir Projet Parrainage.

 5.6. Le réseau ‘Centre de Formation’

La première condition pour que les familles prennent en charge elles-mêmes leur avenir est de leur fournir “le savoir” et “les outils” de leur propre développement.  Les “outils” sont largement détaillés dans les six réseaux ci-dessus.  Le “savoir-faire” doit être dispenser à la population de Cibombo principalement dans les domaines de l’élevage, de la culture parcellaire (jardin potager), de l’agriculture sur champs, de l’artisanat (savonnerie, meunerie, boulangerie, menuiserie, couture, fabrication de fours économiques, etc..).

C’est ainsi qu’est apparue, en 2008, la nécessité de construire une salle de 8 mètres sur 12, en blocs de ciment, permettant de réunir jusqu’à 150 personnes pour des formations et éclairée par des panneaux photovoltaïques schargeant des batteries, permettant ainsi des formations après 18 heures où le soleil se couche déjà sur l’équateur.  Y ont été ajouté des toilettes publiques, une menuiserie, un local de nutrition des enfants, une maison pour le garde et d’autre bâtiments y ont été construits (Boulangerie, Meunerie, Savonnerie, Local de recharge des GSM’s, Cafétéria, etc…).  Un projet de récolte de l’eau des toits de ces bâtiments pour alimenter une réserve souterraine de 80 m³ a été achevé en 2012. Voir Projet Centre Communautaire.

Mgr Sonsonga (Evêque de Kolwezi), Lettre pastorale Pâques 1993 ; Pie Tshibanda, Les refoulés du Katanga , Lubumbashi, éd. Impala, 1995 ; A. Albert Kaumba et P. Léon Ngoy, Le Katanga et la transition zaïroise : l’Eglise nous parle, Lubumbashi, éd. C.I.,1995.