L’histoire dramatique de Cibombo

En 1999, l’abbé Stanislas Kanda, vient en Belgique  faire des études d’agronomie. Pas pour son potager. Ce prêtre entend, tout en exerçant son sacerdoce, venir en aide à ces dizaines de milliers de Congolais chassés de chez eux et déportés dans une région inhospitalière : CIBOMBO.

A l’origine… un contexte politique

Au début des années 90, des vagues de Conférences nationales, nées des contestations contre les dictatures, secouent les pays d’Afrique centrale. En République Démocratique du Congo, Mr Mobutu, qui se sent aussi en danger, tente de se débarrasser de son opposant principal, Mr Etienne Tshisekedi, originaire de l’ethnie Luba de la province du Kasaï. Il faut savoir que de nombreux Kasaïens avaient été amenés vers la riche province minière du Katanga pour travailler dans les mines. Cela voici quelques générations. Or, fin 1992, Étienne Tshisekedi est élu Premier ministre à la Conférence Nationale Souveraine du Congo (Zaïre). Mobutu et ses alliés devaient donc trouver une stratégie pour  déstabiliser Mr Tshisekedi. Ils ciblent alors toute sa base électorale, dont la majorité était des ressortissants du Kasaï vivant dans d’autres provinces.

Pourquoi dans la province du Katanga ?

D’abord parce que le principal allié à Mobutu et candidat à la primature (Premier Ministre) était originaire du Katanga : Nguz Karl Ibond. Ce dernier va vite s’allier les grâces d’un mordu de la cause katangaise, le gouverneur de province Mr Gabriel Kyungu wa Kumwanza. La course à la conquête politique va s’appuyer sur  les appartenances régionales comme cheval de bataille.

La province du Katanga va se montrer très radicale dans cette politique : le Katanga doit être habité et géré par des Katangais. D’où le slogan  « Katanga yetu » (notre Katanga)  que va utiliser l’autorité provinciale dans plus de 100 discours publics pour passer le message dans les médias. Ces discours encouragent et décrivent ouvertement la mise en œuvre de la manœuvre xénophobe ciblant  tout ressortissant du Kasaï.

En fait, la présence des Kasaïens est nombreuse dans les villes de Lubumbashi, Likasi et Kolwezi. Ce sont les villes de la Gécamines (ex-Union Minière du Haut Katanga) où, dès la fin du XIXe siècle, les colons belges déportèrent des milliers  de Kasaïens et d’autres Africains pour travailler  dans les mines. Avec le temps, ces mineurs et leurs descendants vont tirer profit du cadre des infrastructures sociales : écoles pour leurs enfants, formations socio-professionnelles, etc. En parallèle, les populations katangaises, moins présentes dans ces structures nouvelles, vont nourrir un profond sentiment d’injustice. Ces frustrations vont faire du Katanga un terrain bien propice à la xénophobie. Il a donc suffi à Mobutu de trouver des gens politiquement serviles pour exploiter cette situation.

Les faits

Les premières attaques des miliciens JUFERI [i] contre des civils Kasaïens ont eu lieu fin 1991  aux alentours de Kolwezi et Likasi. Puis début 1992, l’autorité provinciale s’est mise systématiquement à écarter les Kasaïens des tribunaux, de l’enseignement, des hôpitaux, des entreprises publiques, des associations sportives, des médias d’État et de l’administration. Dans plusieurs villes, les commerçants Kasaïens se voient renvoyer des marchés publics et de la culture des terres.

Le 15 août 1992, après l’élection d’Étienne Tshisekedi par la CNS [ii] au poste de Premier Ministre, la tension monte d’un cran. La milice secrète du gouverneur de la province sort au grand jour. Elle  est faite de jeunes recrutés, drogués et entraînés dans les villages. Armés principalement de machettes, de couteaux et de bidons d’essence, ses éléments faisaient irruption chez les Kasaïens vivant dans différents quartiers et leur donnaient l’ordre de quitter les lieux au plus vite sous peine d’être tués ou de voir leurs maisons incendiées.

Ils scandaient des chants incendiaires dans lesquels  les Kasaïens, appelés  les « bilulu », c’est-à-dire les “cafards”, étaient sommés de repartir chez eux au Kasaï ou de mourir au Katanga. L’explosion de la violence et la force du complot politique sèment la panique chez les Kasaïens. Tant à Kolwezi qu’à Likasi, tous les Kasaïens fuient se réfugier dans les gares, les écoles et les couvents dans l’attente d’un éventuel retour au calme ou d’un train pour quitter la ville.

Statistiques

Les violences ont fait des dizaines de victimes parmi les civils, entraîné le pillage de centaines d’habitations et causé la destruction de nombreux bâtiments parmi lesquels des lieux de culte.  À la fin du mois de juin 1993, le Gouverneur  intime l’ordre aux familles kasaïennes groupées dans les gares et les écoles de vider les lieux avant le 1er juillet. Mais déjà le 30 juin 1993, un haut gradé des FAZ [iii], le général Sumaili, ratisse la gare de Kolwezi en incendiant huttes et tentes de fortune en place. Selon le comité des refoulés de Kolwezi, entre le 24 mars 1993 et le 14 janvier 1994, les affrontements directs entre la JUFERI et les Kasaïens auraient fait 371 victimes. Les conditions de vie inhumaines imposées par les autorités vont entraîner des pertes de vie par  manque de nourriture et de médicaments ou suite aux maladies contractées dans les lieux de refoulement.  Il ne reste plus qu’à partir vers le Kasaï si on veut survivre.

Horrible exode vers le Kasaï

A la mi-mai, des organismes humanitaires reviennent et commencent à décrier les conditions des Kasaïens au Katanga. Mis à part quelques vols affrétés par les Salvatoriens vers Mbuji-Mayi, peu de moyens s’offraient pour fuir les villes de Kolwezi et Likasi. Ceux qui ne purent  attendre les hypothétiques trains de marchandises pour le Kasaï se résolurent de prendre la route soit en voiture soit à pieds. C’était quand même 1700 kms parsemés d’embuscades de la JUFERI et de dangers de toutes sortes.  La plupart des décès seraient de plus imputables à la promiscuité, au stress causé par les attaques de trains par la JUFERI, aux maladies, au manque d’eau et au désespoir causé par les persécutions et la perte de membres de la famille et de proches. Un grand nombre de refoulés, morts au cours du voyage, ont dû être enterrés à la hâte le long de la voie de chemin de fer. En 1994, Monseigneur Tshibangu, dans sa publication,  avançait le chiffre de 800.000 Kasaïens expulsés et  accueillis dans les deux  provinces du Kasaï. Mais on ne saura jamais avec certitude le nombre exact de ceux que l’histoire humaine aura relégués dans l’oubli par des manipulations diverses.

Le camp de refoulés de Cibombo (Tshibombo)

Les survivants de cette fuite sont, à ce jour, nombreux à Kananga, Kabinda, Mwene Ditu, Mbuji-Mayi et ailleurs dans les provinces du Kasaï oriental et occidental. Les autorités locales de Mbujimayï, incapables de gérer un tel afflux de refoulés du Katanga, ont cantonné ceux-ci à 10 kms de la ville de Mbuji-Mayi dans une plaine sans infrastructure, sans eau, sans électricité, appelée CIBOMBO. Aujourd’hui, Cibombo héberge 14.500 refoulés vivant dans le plus grand dénuement, obligés d’aller chercher l’eau à la rivière Nzaba à plus de 3,5 kms de Cibombo. Les plus chanceux vont chaque jour jusqu’à Mbuji-Mayi dans l’espoir de trouver quelques petits boulots.

[i] JUFERI : Jeunesse de l’Union des FEdéralistes Indépendants  qui se donne pour mission de libérer le Katanga de la présence des Kasaïens
[ii] CNS : Conférence nationale Souveraine présidée par Mgr Mosengo
[iii] FAZ : Forces Armées Zaïroises